dimanche 15 novembre : "cultivons notre jardin" ...


A grand renfort de déclarations ou nouvelles suggérées aux échotiers de service, on fustigeait la légèreté de certains et leur mauvais usage du peu de liberté qu’on leur laissait. Mais on se heurtait à nombre de gens de biens ne comprenant pas l’incohérence de certaines mesures. Parmi eux, on comptait montagnards habitués à quelques longues promenades à l’air pur, sportifs avides de salutaires efforts et aussi les quelques rares fidèles encore très attachés aux célébrations dominicales. Comme pour de petits commerces tenus par gens consciencieux, de telles interdictions ne pouvaient se comprendre dans le bon royaume de France. A tel point qu’outre Rhin, les gazettes s’en gaussaient, traitant le royaume de pays d’absurdie.

 

Cela s’ajoutait à tout le reste : les erreurs et fausses déclarations sur le port du petit masque, les stériles débats et combats entre savants médecins, les décisions incomprises et la volonté de cacher la misère où l’on avait plongé nos hôpitaux…. La parole royale était sans poids et l’on s’était rangé trop rapidement à l’avis de l’assemblée des Nations qui, tenant pari sur la potion protectrice avait suivi l’avis intéressé de puissants pharmaciens. Cela, mélangé au reste, faisait douter de tout, songer à collusion ou malveillance et même à action concertée.

 

La mode, chez certains romanciers ou théâtreux, était de montrer ou raconter des fables mélangeant vrais témoignages et suppositions, faits réels ou crédibles et élucubrations. La situation complexe du moment se prêtait fort à pareille mise en scène. Ce fut fait promptement, mais il ne s’agissait pas de divertir des âmes simples, plutôt de dénoncer d’imaginaires et universels complots.

Il fut facile de balayer l’argument de la pièce, chassant, par la même occasion les quelques témoignages ou faits consistants qui y étaient mêlés.

En écartant ces derniers, l’affaire se montrait fort bonne pour les gens en place, eux qui risquaient, une fois le mal vaincu, de se voir reprocher menteries ou insuffisances.

 

Quant au grand mal, il courrait toujours. On le voyait décroître chez nous et l’on espérait que ce deuxième assaut du malin s’éloignerait bientôt. Las, on apprenait, des Amériques comme du pays du soleil levant, que déjà une troisième attaque s’annonçait.

Tenus par de sinistres prévisions, faute de solides contradictions, on se résolvait à attendre son salut de la fameuse potion de protection vers laquelle convergeait toutes les recherches, tous les savants efforts et aussi tous les espoirs de profits. 

 

Tant qu’à parler de profits, une crainte sourde montait. On savait bien qu’un tel arrêt des industries dans nombre de pays ne pourrait se résoudre dans le cadre du fonctionnement normal de la Hanse, comme dans celui des accords ordinaires de Commerce. Monnaie n’était certes que de papier, mais un jour il faudrait sans doute qu’elle redevienne échange. Bien des pays, naguère prospères, n’avaient plus grand-chose à échanger et leur destin était près de basculer : le grand mal se prolongerait ainsi à l’envie, et, dans ce sombre avenir, les plus sereins étaient ceux qui vivaient de leur jardin.