Jeudi 24 décembre : les Pitres (2) et l'enfant...


 

En cette veille de Noël, les nouvelles étaient mauvaises : on craignait nouveau et puissant retour du grand mal. La potion protectrice, elle, n’arrivait qu’à pas comptés et une issue heureuse semblait toujours plus lointaine.

 

On ne contestait plus guère et l’on se terrait chez soi. Le peuple était devenu celui des grenouilles de la fable : les unes cachées, les autres coassant sur les nénuphars, toutes souhaitant qu’un puissant Roi les tienne en sa protection.

 

En ces tristes circonstances, on s’en était fabriqué un : le Grand Médecin, ayant autorité sur tout et tous malgré peu de science et encore moins de puissance. Pitrerie, là encore, mais la chose était nouvelle, on ne pouvait lui demander plus.

 

Nos médecins de vieille école étaient fort rares : on ne scrutait plus les selles, ne lisait plus les urines, ne guettait plus les humeurs et n’auscultait guère. On prescrivait à distance, on ne suivait guère ses malades et la médecine devenait peu à peu affaire d’automates et de pharmaciens. Le Grand Médecin élu par notre peuple de grenouilles était en tout point l’aboutissement de cette errance. Il n’était qu’un automate géant, aux dimensions gargantuesques qui, écrasant quelques imprudents, rejetant les autres dans la boue, avançait, tenant fermement toutes les affaires du Royaume. Le Roi lui-même, ses Ministres, le premier, le grand argentier et surtout le ministre des polices, qui suivaient à la lettre ses prescriptions et faisaient grand cas de ses prédictions.

 

Et ce 24 décembre fut la plus triste veillée de Noël que l’on avait connu depuis bien longtemps.

 

Tenu sous la sinistre férule de cet Empereur Médecin, on songeait aux Noëls d’enfance, croyance ou mythe, et à ce nourrisson, dans son étable lointaine, qui bientôt, fustigeant Grand Prêtres et Pharisiens, chassant les marchands du Temple, prêchant paix et amour, pourrait, en dépit d’un sort cruel, sauver le Monde.