Mardi 6 octobre : comme au theâtre


Outre océan, le grand des Amériques se remettait du Grand Mal. On en avait pris grand soin, l’entourant de tout un collège de carabins et savants et lui administrant toutes les potions utiles ou supposées. Au dehors, les sujets qui lui étaient attachés priaient sous ses fenêtres : on le mit dans un carrosse en dépit de son état et, tel un roi d’antan ou le saint pontife, il défila, les saluant, le pouce levé en guise de bénédiction.

 

La date approchait d’états généraux qui le ferait, pour des années encore, Roi des Amériques : il lui fallait donc un rétablissement rapide voire quasi miraculeux, quoiqu’en pense la Faculté. Dès le soir, on mit en scène son retour aux affaires : on le remit droit, dans son costume ordinaire et l’on fit portrait de sa marche de retour au Palais. On le montra aussi à cet instant où, debout devant son trône, il retira son masque médical, déclara sa parfaite guérison et enjoint à tous de sortir et de reprendre, sans doute prudemment, le cours de leurs affaires.

 

Dans le royaume, faute de voir ou d’entendre le Roi et son Conseil, on suivait les avancées des Carabins étudiant le Mal. Quelques savants du Nord se penchaient sur les vertus d’une potion ancienne qui paraissait présenter quelque efficacité contre le présent fléau. Echaudés par le sort réservé au Marseillais qui avait parlé trop tôt et trop largement des espoirs qu’il mettait dans sa « magique » potion, ils avançaient à petits pas prudents de peur d’éveiller jalousie et hargne de savants appointés. L’affaire traînait et l’argent leur manquait alors même que des fortunes étaient jetées pour simplement fouiller le nez de tous les sujets, sans grande certitude de leur état de malade ou de contagieux.

 

Entre savants, on discutait et contestait au gré de ses intérêts ou croyances. Tout était bon pour occuper la scène dans l’attente de la portion protectrice qui protègerait, croyait-on, les vies qu’un trop long arrêt des affaires avaient ruinées. Faute de connaissances sur la maladie, on parlait des mérites du confinement, de la gestion de hôpitaux ou encore de l’utilité des petits masques. Comptant probables infectés et vrais malades ou mourants, triturant les chiffres, se jetant les nombres à la face, revenant toujours sur les imprudentes déclarations des uns et des autres, on s’étripait joyeusement, ayant oublié l’enseignement de l’antique philosophe, ami du savoir et de l’homme et qui professait en déclarant « je sais que je ne sais rien ».

 

 Le bon peuple, lui, trouvait que, décidément, tout allait cul sur bouille.