Mardi 10 Novembre : Pharmacie

Ce lundi apporta une grande nouvelle : un grand pharmacien avait enfin élaboré une potion protectrice contre le Grand Mal, potion dont le succès paraissait assuré dans une grande majorité de cas. Certes, on mesurait encore mal si cette protection tiendrait dans le temps. Cependant, tous les pays semblaient prêts à tenir le pari et en réservaient déjà de fabuleuses quantités. L’affaire fit la fortune des gens de commerces, grands parieurs, qui s’engagèrent lourdement en faveur de l’heureux pharmacien, certains qu’ils étaient que ce dernier, vendant sa potion à la planète entière, en tirerait plus d’argent et d’or que naguère Crésus lui-même.

 

Le peuple fut plus réservé, chacun comprenant qu’il faudrait des mois et des mois avant que la potion ne soit distillée et lui arrive enfin. La chose mènerait sans doute, si tout allait bien, à l’été prochain, et sans doute pour une partie seulement des sujets. De très longs mois de restrictions, enfermement et pénuries s’annonçaient encore, sans compter que la bête, changeante et vicieuse, pouvait encore nous jouer quelques sinistres farces.

 

Pour l’heure, le second assaut du mal semblait faiblir aux yeux de quelques savants médecins, qui en avaient fait état. L’officiel savant de Cour se fit voir au côté du Médecin du Roi et dit qu’il n’en était rien et que le diable était encore devant nous. On mit en avant quelques mauvais chiffres : l’affaire fut dite et chacun se remis aux ordres.

 

Pour le reste, les maîtres d’écoles se démenaient pour tenir les petits masqués, cois et tranquilles pour tenter de tous les enseigner, dans des locaux étroits, et sans qu’ils s’y contaminent. On renâclait en tous lieux contre des mesures souvent peu cohérentes, masques pour les bambins ou trop courte laisse pour les sportifs campagnards. En haut lieu, on se croyait autorisé à tout faire, protégé par les mesures d’exception que l’on avait fini par faire enregistrer au Parlement et allant jusqu’au printemps prochain. Mais le bon peuple savait que si l’on pouvait tout faire contre le mal, on ne devait pas faire n’importe quoi. Il rongeait son frein et cultivait sa rancœur.

 

 

 

Outre Atlantique, Le Roi président se vit déchu, mais il tenta encore de faire croire que l’affaire n’était pas encore jugée et il contestait sa défaite. Il faisait appel à ses partisans, aux juristes réputés, mais il se trouvait de plus en plus seul, son bête entêtement ne pouvant que causer tort à son pays et nuire à ses financiers. Ailleurs, on regardait cela comme on va au théâtre. Il est vrai qu’avec l’ancien, on avait tenu là un fabuleux comique.