Dimanche 11 octobre : du sur-mâle au père ubu...

Le premier des Savants de Cour revint hier sur l’augmentation du nombre de nez infectés dans le royaume. Certes, on ne dénombrait encore qu’assez peu de grands malades, mais ce seul chiffre lui paraissait suffisant pour retourner aux enfermements et interdits du printemps.

 

Homme dont la triste figure rappelait celle des animaux honnis annonceurs de catastrophes, moderne Cassandre, Il déclara que le Grand Mal quitterait nos terres mais pas avant l’été prochain. Cette certitude interrogeait : était-elle le fruit d’études et sciences ou n’était-elle que la date probable où l’on pourrait se procurer, en nombre et à prix d’argent, la potion vaccinale ?

 

Nombreux étaient ceux qui ne voyaient dans nos savants officiels, que les simples hérauts ou pire, les valets, de puissants apothicaires.

 

Dans une contrée de l’Est, fort saine, bien aérée et presque sans malades, on avait dénombré quelques nez suspects, plus, en tout cas, qu’il en était permis par décret du Médecin royal.

 

L’intendant du lieu se dressa immédiatement et annonça qu’il allait dès matin, obliger tous les sujets vivants dans les villes ou bourgs à porter masques sitôt leur porte franchie. C’était pays où le parler était lent, calme, et la langue dépourvue de ces consonnes rugueuses et explosives capables de jeter au loin postillons et miasmes. La mesure, si précoce et affermie par de fortes amendes, avait du mal à être supportée et encore plus à convaincre. L’intendant, par son zèle, parut comme une simple marionnette de pouvoir, animée par des puissants dépourvus de savoir.

 

Entre philosophes et chroniqueurs on discutait des malheurs du temps : on avait beaucoup parlé catastrophes, dérèglement du temps et multiples sinistres. On redoutait des heures sombres pour notre terre, et maintenant, avec la fièvre du malin, ses morts mais aussi les pertes d’industrie et richesses, tout paraissait aller vers la Fin.

 

Les uns, voyant ou prévoyant cet effondrement, prêchaient pour un retour aux valeurs anciennes, à une frugale mais solidaire société. D’autres, parmi les puissants et leurs affidés, croyaient en un progrès qui résoudrait tout : savoir infini, automates dotés d’intelligence, avènement d’un homme plus puissant que tout. Bientôt, l’humanité se relèverait de ces quelques désagréables soubresauts.

 

Ceux-là oubliaient de dire qu’une telle « transhumanité » ne se concevait que pour quelques-uns et qu’il était probable que ceux « qui n’étaient rien » en seraient tenu écarté. Il faudrait sans doute y mettre quelques barrières, et cela ne se ferait pas sans grande fermeté. On se voyait « sur mâle » comme l’avait décrit Monsieur Jarry, mais il faudrait aussi appliquer les détestables méthodes du Père Ubu. On n’en prenait le chemin.