Jeudi 19 novembre : Dragonnades ...

 

Les choses allaient leur train : le grand mal traînait encore, menaçant, partant d’un endroit pour en infecter un autre, laissant craindre de nouveaux retours. Dans le royaume, on se portait mieux, mais les gens étaient encore enfermés. Selon le ministre du Grand Conseil que l’on interrogeait, tantôt on donnait espoir d’échoppes réouvertes et de fêtes familiales pour la Nativité, tantôt on prévenait que les choses n’iraient pas aussi vite, que l’on garderait toujours limites aux voyages ou visites, obligation de laissez passez et peut-être même couvre-feu.

 

A une nouvelle rassurante sur la proche diffusion de la potion protectrice, la valeur de celle-ci et son efficacité à écarter à jamais la fièvre maligne, succédait une déclaration d’autorité fixant la fin du grand enfermement aux calendes … et encore, soit grecques, soit celles de la prochaine année.

Dans leurs déclarations, conseillers et savants de cour traçaient une ligne incertaine, toute de zig-zags et l’on ne savait pas s’il s’agissait de la démarche fluctuante d’hommes pris de boisson ou si ce n’était pas plutôt la reptation ondulante du serpent maléfique des premiers âges.

Rien ne pouvait, en ces temps, rassurer le bon peuple ou lui donner bonne matière à réflexion et, par- là même, le tirer de sa mélancolique torpeur ou le conduire à raisonner et agir. A tout prendre, la chose arrangeait bien les affaires du Conseil : cette apathie, le droit qu’il s’était arrogé de réglementer encore librement pendant de longs mois, lui garantissait un hiver tranquille.

 

Justement, outre la faculté d’interdire pendant de longs mois, on avait aussi jugé bon d’organiser, renforcer et étendre les pouvoirs des gens de police, gardiens, argousins et même sbires.

Le bon peuple était fort effrayé par les crimes déments des « achachins » sarrazins et par le grand nombre de malandrins et coupe-jarrets, vendeurs de substances délétères, tenant le haut du pavé dans les grands immeubles de rapport édifiés sous le règne du grand roi de l’ère moderne.

Ils y faisaient grand bruit et gros dommages, imposant des idées rétrogrades à tous et écartant à coups de mousquets les gens de police et d’ordre envoyés là-bas en trop petit nombre. Beaucoup ressentaient le besoin d’une bonne protection et l’idée de renforcer la police ne choquait guère.

 

Mais l’examen du projet, porté avec vigueur par le petit marquis qui, au sein du Grand Conseil, avait la responsabilité du Ministère, révélait qu’il ne s’agissait guère de lutter contre ces fléaux.

On entendait surtout renforcer le nombre et le pouvoir d’escadrons de jeunes et violents hommes d’armes, et même d’attribuer quelques droits à des supplétifs ou gardes privés. Voir de semblables gens considérés comme aides et auxiliaires de justice paraissait excessif, surtout que l’on voulait aussi les protéger de toute constatation et dénonciation de leurs trop fréquents écarts.

Cela avait soulevé bien des indignations et avait été largement condamné par Cours étrangères et Défenseurs de droits.

 

Le dispositif se révélait, en fait, plus apte à combattre jacqueries et mouvements de colères, à protéger commerces et échoppes de lombards qu’à protéger le petit peuple souffrant de la proximité de ces nouvelles « cours des miracles » établies au cœur même des villes nouvelles.

En fait, les plus attentifs voyaient dans l’affaire un rétablissement de ces régiments et dragonnades des rois anciens, sans d’ailleurs, qu’il s’agisse là de défendre la vraie religion, mais seulement de garder grands bourgeois et riches banquiers à l’abri des misères et colères du temps.  

On comptait bien mener l’affaire à terme et garantir ainsi à leur profit paisible richesse. En haut, on garderait, même en temps de crises ou tempêtes, justes et abondantes rémunérations. Quant aux chats fourrés chargés d’établir la parfaite régularité de la chose au regard des lois fondamentales, ils connaissaient bien la main qui les caressait.