vendredi 23 octobre : au loup !

On avait beaucoup crié au loup depuis l’été : on avait annoncé un second assaut du malin bien avant l’heure, on avait sorti, des calculs des savants, les chiffres les plus affolants, on avait attisé les peurs bien avant d’en voir le bout du nez. Arrivant après de si nombreuses annonces, on s’y était habitué à tel point qu’on le croyait animal domestique. Certes, on ne savait pas encore si ce nouveau avait féroce faim et dents aiguisées, mais il était là, montrant bel et bien le bout de l’oreille.

 

Le peuple avait perdu toute confiance dans nos ministres et médecins de cour : il se reprit à craindre. Les carabins voyaient à nouveau arriver dans leurs hôpitaux malades et souffreteux. Eux étaient fatigués des efforts du printemps et leurs lits toujours comptés. On avait peu fait au sortir du premier assaut : pire, même, en manque de richesses, on se disposait à reprendre la détestable habitude de limiter leurs moyens et capacités au strict et usuel nécessaire.

 

Au moindre soubresaut du mal, on reviendrait sans doute aux erreurs passées : n’accueillir que les plus mal en point, laisser nombre de malades combattre seuls et sans vrais soins dans l’attente du lit et de l’appareillage salvateur. Le savoir, la pratique et l’intuition de nos médecins n’étaient que peu considérés. En haut, on attendait la potion protectrice recherchée à grands frais, elle qui viendrait écarter le mal sans qu’il soit besoin de réorganiser toutes choses.

 

En attendant, il fallait se montrer face à l’ennemi. On n’avait que peu de choses à présenter : coincés entre les mesures déjà prises et le coût désastreux d’un second enfermement et arrêt de toutes activités, il ne restait que des mesures de simple police et un couvre-feu tel qu’en temps de guerre. En Faculté, nombreux étaient ceux qui disaient cette mesure comme nullement justifiée par raisonnement scientifique. Il suffisait : n’ayant que cela, la chose fut acquise en dépit des ruines qui frapperaient saltimbanques et débitants de boissons . On prit soin également de proclamer état d’urgence et mesures de contraintes pour les 6 prochains mois : il fallait faire bonne mesure.

 

Ayant fait le tour des provinces, on releva celles dans lesquelles le mal s’était étendu : il s’agissait désormais de toute une moitié du royaume. Curieusement, le mal touchait jusqu’aux provinces les plus rurales, qui s’étaient jusque-là tenues à l’écart de maladie. En outre, comme ces districts étaient moins pourvus que d’autres en hôpitaux, ils seraient aussi fermement tenus et cloîtrés que les grandes cités.

 

 Dans une contrée de l’Est, jusque dans les plus petits villages, on imposa extinction des feux et fermeture des estaminets à nuit tombée. Las, à l’heure dite, il n’y avait là-bas aucun chat dans les rues et lieux de plaisirs comme écoles et églises avaient depuis longtemps disparus.

 

Edictée hier au soir, avec solennité par le premier conseiller, cette mesurette fit sourire les villageois.