lundi 26 octobre : la fièvre ...

On avait porté en terre, en grandes pompes, le pauvre précepteur qui, pour avoir osé montrer quelques caricatures que des forcenés disaient blasphématoires, s’était vu attaqué et méchamment décapité. Le Roi lui-même avait publiquement rendu hommage au pauvre homme, fustigé l’intolérable forfait et proclamé bien haut qu’en son royaume, liberté totale était de mise, que nulle croyance ne pouvait en limiter l’usage et que tous devaient se soumettre aux principes solennels de la déclaration des droits et devoirs de l’homme et du citoyen, principes mis au plus haut de la chartre du Royaume.

 

Cette adresse ne fit que peu d’effet sur nombre de ses sujets, habitués depuis longtemps à ces puissantes maximes.

 

 Elle réveilla, par contre, la vindicte de religieux par trop attachés à des préceptes moyenâgeux.

 

 Chez nos chrétiens et juifs cela était resté compatible avec les lois du royaume : quelques catholiques d’un autre siècle contestaient, mais pacifiquement, unions entre gens de même sexe ou droit d’arrêter gestation. Dans certains pays, ces gens avaient quelques pouvoirs, mais cela se faisait sans actes extrêmes.

 

Chez les mahométans, il n’en était pas de même. On y était tiraillé entre gens de lettre et exégètes du livre et adeptes d’une lecture littérale et d’une application des moindres principes, directives de vie et interdits des temps anciens. Cette lecture rigoriste s’était largement répandue dans les royaumes et principautés d’Arabie, pays fort riches et puissants, à tel point que l’on ne pouvait guère les tenir à l’écart de commerces et congrès de nations. Là-bas, les plus forcenés et violents zélateurs avaient fait leur lit, tenant tous en grande crainte.Ils y étaient admis et ménagés.

 

 A leur suite, on se hâta de se dire outragé par les libertés et plaisanteries que l’on prenait dans nos pays à l’encontre de leur prophète. Chez nous, il se trouva même des sujets pour dire qu’il fallait rechercher par tous moyens une fraternelle coexistence avec tous les mahométans, même rigoristes.

 

Mais pour la majorité, on estimait juste et bon qu’aucune croyance religieuse ne puisse prendre le pas sur les libertés accordées et reconnues par les lois les plus intangibles du royaume.

 

Dans les pays d’Orient, l’inverse était souvent de règle : le religieux l’emportait sur le civil et le loup de l’intolérance y montrait l’oreille.

 

A nous entendre proclamer aussi haut nos droits à caricatures et plaisanteries, on protesta et on se mis à jeter les denrées, venues de notre pays, et garnissant leurs échoppes ou magasins. On vitupéra contre l’infidèle, frappant d’infamie tout ce qui moquait leur prophète et religion. La protestation s’étendit même à des royaumes pourtant habituellement modérés ou se disant modernes.

 

 

 

L’attaque la plus féroce vint du Grand Turc, avec lequel on était déjà en délicatesse et concurrence diplomatique. L’homme était toujours excessif : il s’en prit à notre Roi, le disant fol et lui conseillant de prendre médecine.

 

L’affaire fit grand bruit et protestation, on rappela nos ambassades et on réaffirma nos principes. Mais, dans un monde où tous les pays se tenaient mutuellement, comme au jeu de la barbichette, on savait bien qu’il faudrait revenir à la table commune.

 

L’oreille du méchant loup serait toujours cachée derrière les réunions de diplomates tandis que les dagues et sabres des sombres et féroces « Hachachin » menaceraient encore nos précepteurs et gens de biens.