Vendredi 8 janvier : le Conseil du Royaume

Le premier avait, la veille, pointé son nez et son crâne à nos lucarnes. Flanqué du Médecin royal et de quelques savants de cour, il y étala son ignorance des manœuvres du Malin, des nouvelles formes ou nouveaux dangers du Grand Mal, et renvoya tout espoir d’élargissement et de joyeuse liberté bien après les calendes romaines et même grecques.

On échappait de peu à de nouvelles et sévères restrictions, mais cela devait encore être mesuré. Côté potion, on avançait à pas mesurés, dépassant en lenteur le pas et le débit de parole de nos voisins helvétiques, moqué par nous-même hier.

 

Par cet hiver gris et froid, la parole ministérielle fit aux théâtreux désespérés, aux tenanciers mourant de consomption, le même effet que la visite d’un croque mort. Les plus indulgents, taiseux jurassiens, pensaient que lorsque l’on a si peu à dire, il est plus convenable de faire silence.

On tourna les lucarnes vers des horizons plus plaisants, remâchant nos rancunes, rappelant les multiples menteries ou omissions de ces hauts personnages qui se conduisaient sottement, comme enfants surpris la main dans un bocal de bonbons.

Il est vrai que l’on s’en amusait souvent : il y a peu, on s’était aperçu que l’on ne mourrait plus des rhumes ou fluxions ordinaires de l’hiver mais uniquement du Grand Mal. On s’étonnait, mais ces messieurs nous firent déclaration selon laquelle nos petits masques et précautions avaient chassé toutes ces maladies ordinaires…. On s’étonna toutefois que les mêmes précautions n’aient pas réussi même partiellement à empêcher le retour de l’autre.

 

 L’affaire passée, on retourna à ses occupations et préoccupations. Dans les maisons de vieillards, on commençait à distribuer, sans faste, la potion que nos vieux ingurgitaient avec la même docilité que leur brouet ordinaire.

Le Roi, lui, ne disait rien : sa popularité ne pouvait qu’y gagner.

En catimini, on préparait le texte qui prolongerait encore pour une très longue année, les pouvoirs exceptionnels attribués au Conseil Royal pour édicter toute mesures et dispositions soumises ordinairement au vote du Parlement. L’urgence de Santé donnait pleins pouvoirs pour une durée qui dépasserait de quatre fois celle qui avait été utile au grand Roi de l’ère moderne pour mettre fin, aux forceps, à la guerre dans notre dernière colonie.

Décidément, il en fallait beaucoup à ce pouvoir royal pour combattre un mal qui n’était quand même ni la Grande Peste, ni même l’affreuse grippe du siècle dernier

 

Aux Amériques, le spectacle était surprenant : on y élisait le Roi et le dernier, battu, rechignait à laisser la place, se disant, contre toute évidence, floué dans l’affaire. Ses partisans, violents et peu démocrates voulurent prendre d’assaut le siège du Parlement devant proclamer le nouvel élu. On fit bataille au sein même du temple et ce si désolant spectacle nous consola quelque peu de la médiocrité de nos institutions et de ses soutiens.