vendredi 13 novembre : jour de chance ?

Le Roi avait réuni son conseil de guerre, le Premier, de sa curieuse voix, prit ensuite la parole pour dire que rien ne changerait avant quelques temps. Les chroniqueurs n’eurent pas grand ’chose à dire et le bon peuple continua de grogner dans son coin. On comprit qu’il faudrait encore pendant de longues semaines écrire ses propres laissez passer, rester à proximité de chez soi et se passer d’auberges et de cabarets. Noël, même était incertain. Boutiquiers et tenanciers voyaient leurs espoirs s’envoler et la faillite approcher, en dépit de quelques mesures qui ne seraient pas à la hauteur des recettes perdues. La soirée fut morose. Côté carabins, les infections devenaient plus rares, mais les infectés d’hier envahissaient encore des hôpitaux trop étroits et parmi eux, il en était encore de nombreux qui s’acheminaient vers leur fin. Il y avait là de quoi alimenter encore bien des peurs dans les semaines à venir et le Conseil ne s’en privait pas. Le premier, en son langage fleuri, avait déclaré qu’il n’était pas encore temps de « lâcher la bride ». Dans le peuple, on saisit bien ce que cette comparaison animale voulait dire : il serait traité comme cheval de fiacre, tenu par le Conseil comme par ces cochers grossiers et brutaux…

 

Côté remède, après l’annonce d’une prochaine potion protectrice, annonce qui avait fait, en quelques heures, la fortune de ses inventeurs et celle de financiers joueurs, on commençait à déchanter : on ne pourrait pas en disposer avant de longs mois, et, pire, comme elle était fragile et sensible, elle se prêtait mal à un usage universel et massif. Le pari que l’on avait tenu sur l’utilisation universelle de telles potions ne semblait plus aussi judicieux et l’espoir d’une bonne fin du grand mal apparaissait toujours plus lointain.

 

La dispute entre carabins, elle, rejoignait, par sa longueur et sa virulence, les plus ardentes disputes théologiques des premiers siècles. Face à un mal aussi fantasque, tous, du plus humble carabin jusqu’au plus titré des savants de Cour, avaient déclaré, prédit jour après jour et s’était vu contredit le lendemain même par les fantaisies de cette fièvre maligne. Du côté de la Cour, on tentait de masquer ses propres errements en désignant et poursuivant au besoin, ceux de ses contradicteurs. La tâche était facile : on avait pour soi la servilité des échotiers et la maladresse infinie des soutiens de la partie adverse, qui, croyant l’aider, ne faisait que brouiller son message. Le mal était ailleurs : à voir ainsi se chamailler les plus éminents savants, on ne croyait plus en la médecine et, comme en religion, « hors l’église, point de salut ». Et ce Vendredi 13 ne fut, décidément pas jour de chance.